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Dr Constance Faye Badji : La lutte syndicale pour les pharmaciens et la nécessité de la solidarité

PROFIL – Edition n°10 – Décembre 2021

DR CONSTANCE FAYE BADJI

PHARMACIENNE TITULAIRE DE LA PHARMACIE GOLF NORD



« IL Y A UN MANQUE TERRIBLE DE SOLIDARITE ENTRE LES PHARMACIENS »

Dérivé du Latin Constantia, la constance se définit comme la patience, la persévérance de quelqu’un, entretenue par une force morale sans défaillance, à poursuivre un dessein avec constance. Les personnes qui portent ce prénom ont le sens du devoir et des responsabilités. La générosité est un des critères prépondérants de leur caractère. Et Dr Constance Faye n‘échappe pas vraiment à cette règle. Diplôme de pharmacien en poche en 1982, elle a d’abord servi à la fonction publique, avant d’être admise à l’internat des hôpitaux en 1983. En 1991 elle quitte la fonction publique et s’installe à Guédiawaye. Ancienne présidente du syndicat des pharmaciens, et membre de l’association des pharmaciens catholiques, Constance aura été de tous les combats. Dans cet entretien exclusif accordé à Médical Actu, la doyenne comme l’appelle souvent les plus jeunes nous livre les secrets de la lutte syndicale.

Parcours universitaire

J’ai eu mon diplôme en 1982. A ma sortie de la Fac, j’ai travaillé à la Direction de la pharmacie et du médicament au niveau de la fonction publique. Je m’occupais des stupéfiants d’abord, ensuite de la législation. Donc il y a beaucoup d’arrêtés que j’ai eu à rédiger. J’ai fait à peine 6 mois et j’ai été admise à l’internat des hôpitaux où j’ai fait 3 ans pour ensuite revenir à la fonction publique. A cette époque, si l’État t’octroie une bourse, tu dois servir la fonction publique sur une durée de 15 ans pour rembourser. Par miracle, après mon retour en 1986, un décret est sorti réduisant la durée à 5 ans ; j’ai fait mon dossier après 4 ans pour partir et m’installer en 1991 à Guédiawaye.

Le syndicalisme est une expérience à vivre que je conseille à tout le monde

J’ai fait 3 ans à la tête du syndicat parce qu’après avoir lancé un appel à candidature au bout des 2 ans (durée d’un mandat), aucun postulant ne s’est signalé. J’ai donc été obligée de faire un an de plus, le temps d’organiser une assemblée générale extraordinaire. Et finalement j’ai été remplacée par mon vice-président. Ce n’est pas facile d’être présidente du syndicat des pharmaciens par ce qu’il fallait cumuler cette fonction avec le travail à l’officine. Ça été très dur mais j’ai quand même pu tenir le coup durant ces 3 ans. Le dossier des gardes fait partie des problèmes qui m’avaient poussé à vouloir partir parce que c’était très compliqué alors que c’était juste pour organiser la profession. Il fallait dépoussiérer le décret qui rendait la garde de nuit obligatoire par un arrêté d’application émanant du Ministre de la santé d’alors, M. Abdou Fall. Sur cet arrêté figurait le Syndicat des Pharmaciens Privés du Sénégal à qui était confiée l’organisation des gardes ; ce que le Bureau s’est efforcé à faire en organisant des réunions sectorielles à Dakar, pour trouver un consensus. Cette organisation, bien entendu, n’a pas fait l’unanimité mais dans l’ensemble, les plannings ont été bien suivis.

Dans ma vie de famille par contre ce n’était pas trop compliqué mais le problème c’était surtout au niveau de l’officine. J’ai été, avec le Bureau, en tournée syndicale dans tout le pays. Des absences de courte et longue durée que j’ai vraiment ressenties dans mon officine avec des conséquences un peu désastreuses. Au bout du compte, le syndicalisme est une formidable expérience et je conseille à tout le monde, surtout aux jeunes pharmaciens, de s’engager dans la lutte pour les intérêts matériels et moraux de leurs confrères. Gérer les pharmaciens n’est pas chose aisée, mais ça a été, pour moi, une belle opportunité qui m’a surtout aidé à tisser des relations ici et même au-delà de nos frontières lors des fora internationaux pharmaceutiques.

Le combat contre le marché illicite, ma plus grande satisfaction

Ma plus grande satisfaction fût mon combat contre le marché illicite. Je me souviens qu’à l’époque on avait même organisé un grand débat à la RTS, ce qui nous avait permis de toucher les populations qui, en réalité sont les principales victimes. J’ai eu une satisfaction en voyant les gens s’approprier ce combat. Mais, il faut reconnaître que c’est un combat de longue haleine vu que ce phénomène continue toujours. Mais on a eu à poser quelques jalons que les plus jeunes ont suivi après. 

L’etat doit exploiter la biologie ou l’industrie pour faciliter l’installation des jeunes pharmaciens

Je trouve anormal que de jeunes pharmaciens diplômés rencontrent des difficultés pour exercer leur profession. La seule issue a toujours été la filière officine ; la biologie et l’industrie sont très peu exploitées, il faudrait que l’Etat exploite ces filières pour pouvoir y orienter les jeunes pharmaciens. Il faut aussi faire un système de quota pour faciliter l’installation aux jeunes. Il faudrait aussi que les pharmaciens sortant pensent à l’idée d’aller s’installer dans les régions mais si tout le monde veut rester à Dakar, le problème va forcément demeurer.

Téranga pharma est une fierté pour tous les pharmaciens

En tant qu’actionnaire, je me réjouis du succès de Téranga Pharma qui vient de mettre sur le marché sénégalais ses premiers produits. Seulement je souhaiterais qu’il passe à une vitesse supérieure et non se limiter  au conditionnement. C’est déjà un bon début et au fur et à mesure certains produits seront fabriqués in situ, d’ailleurs c’est cela l’objectif visé. La plupart des médicaments sont des produits de conseil donc de délivrance facile, seuls les antibiotiques ont besoin d’être présentés aux prescripteurs. Si nous continuons sur cette lancée, la souveraineté pharmaceutique est bien possible par la grâce de Dieu. J’ai l’impression que l’Etat a maintenant bien compris les enjeux. Sur le plan sous régional, une meilleure coordination entre industries serait bénéfique à tous ; chaque pays se limiterait à une certaine gamme de produits afin de pouvoir les exporter à tous les autres pays qui ne doivent pas détenir cette dite gamme. C’est une ancienne recommandation de l’I.O.P.A. (Inter Ordre des Pharmaciens d’Afrique) et de l’ISPHARMA (Intersyndicale des Pharmaciens d’Afrique).

Je vois aujourd’hui des pharmaciens businessman

En tant que doyenne, ce que je vois aujourd’hui ce sont des pharmaciens businessman.

Beaucoup de pharmaciens, de nos jours, font un peu de tout, et cela, parfois, au détriment de la pharmacie. C’est vrai que la vie est dure et beaucoup d’entre nous réfléchissent en termes de chiffres d’affaires mais, est-ce qu’à ce rythme, ils ne vont pas tuer le métier de pharmacien ? Le rôle du pharmacien doit aller au-delà parce que les préparations magistrales, par exemple, font partie intégrante de notre métier. Combien, parmi nous, en font ? Certains se demandent pourquoi les pharmaciens abandonnent tous les métiers qui tournent autour de leurs activités comme la phytothérapie, la cosmétologie, au détriment du comptoir. Je pense que cela est dû au fait que nous avons énormément de travail en officine et en réalité avons-nous vraiment le temps de faire autre chose ? à moins de déléguer certaines tâches à un ou des assistants. D’ailleurs, je pense que les pharmaciens devraient repenser à s’associer pour l’ouverture des officines ou la pérennité des existantes. On l’avait expérimenté à un moment donné, mais cela n ‘a pas marché ; peut-être parce que l’africain ne sait pas partager ? Par ailleurs, les textes sont obsolètes, l’ordre et le syndicat sont en train de les revisiter, mais il faut qu’ils communiquent davantage.

Association des pharmaciens catholiques, le social notre cœur d’action

La devise de cette association est : Foi-Solidarité-Engagement. La foi aide à soulever des montagnes, la solidarité entre confrères mais aussi envers les plus démunis est de rigueur et l’engagement dans notre profession et dans notre environnement nous pousse à nous mettre au service de notre communauté. Nous faisons beaucoup dans le social, surtout vis-à-vis de l’église. Notre association est membre de la F.I.P.C. (Fédération Internationale des Pharmaciens Catholiques). Comme activités, sur le plan social, nous faisons face à beaucoup de sollicitations que nous essayons d’honorer selon les moyens. Sur le plan professionnel, des EPU sont régulièrement organisés (actuellement, à cause de la pandémie à Covid-19, les EPU se font sur Zoom) et sur le plan liturgique, des messes et récollections, entre autres sont organisées.

Je déplore le manque de solidarité entre les pharmaciens

Il y a un manque terrible de solidarité entre les pharmaciens. Parfois les gens ont même envie de faire quelque chose ensemble, mais malheureusement certains n’adhèrent pas. Et cela est vraiment à déplorer dans une profession comme la nôtre. C’est un plaidoyer que je lance à l’endroit de tous les confrères d’être solidaires entre nous, parce qu’il y va de l’intérêt de tous. Je voudrais aussi revenir sur la gérance après décès des officines qui suscite vraiment beaucoup de débat. Il y a des textes bien clairs qui préconisent dans un premier temps de laisser à la famille de trouver quelqu’un pour gérer la pharmacie pendant deux ans après le décès du propriétaire. Maintenant au terme de ces 2 ans, elle doit vendre. Le cas exceptionnel de défunts ayant un enfant qui poursuit ses études en pharmacie est à souligner. Cependant il revient à la Direction de la pharmacie de prendre ce problème à bras le corps et de le résoudre de manière définitive pour éviter tout conflit.

AÏSSATOU DIOP

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